PTSD

7:45. Je monte dans le train pour aller au boulot, comme tous les matins.
7:53. Cette même gare où je suis monté dans le train, celle près de chez nous. Un jeune de 16 ans passe sous un train.
7:55. Yukiko arrive à la gare pour prendre le train.

Mon train a été coincé une demi-heure dans une gare sur le chemin du boulot. Yukiko a été coincée 2 heures à sa gare de départ, le temps que le service reprenne (elle aurait mieux fait de rentrer à la maison plutôt que d’attendre). La majeure partie du corps du jeune était de l’autre côté du quai où Yukiko était, mais pas juste en face, un peu plus loin. Mais pas assez loin pour ne pas pouvoir voir. Genre “C’est quoi ça là-bas?”. Froncement du front et entre les sourcils, fermeture à moitié des paupières, ajustement de la focale des yeux. Un signal arrive au cerveau et est décrypté. Réouverture des yeux en grands, détournement du regard. “Ah, c’était la tête…”

Le jeune a sauté / est tombé / a été poussé sur la voie juste quand un express passait. Les express ne s’arrêtent pas dans notre gare habituellement, et ils passent vite. Le corps a littéralement explosé sur une assez longue distance, les employés de la compagnie de train ont été ramasser les morceaux éparpillés. Leurs gants blancs étaient devenus rouges sang quand ils sont allés demander s’il y avait des témoins dans la foule, sur les quais et au passage à niveau juste à la sortie de la gare.

A 80 bornes de là, la mère de Yukiko voit dans les écrans LCD de son train qu’il y a eu un accident humain à notre gare, à peu près à l’heure où, sait-elle, sa fille prend son train le matin. Elle téléphonera pour s’assurer que ce n’est pas Yukiko qui s’est prise un train en pleine figure.

Moi, j’y étais pas. Et ben croyez-le ou pas, de l’imaginer, d’entendre le témoignage de Yukiko (ça, ça a eu beaucoup d’influence j’en suis sûr), de le lire sur Internet (2 heures après), m’a miné pour la journée. Des accidents comme celui-ci, on en entend parler fréquemment. Celui-ci m’a touché (alors que les autres non), et j’ignore même pourquoi. Ce n’était pas un choc psychologique comme on peut l’imaginer (on peut pas imaginer à mon avis), juste un désintéressement des affaires courantes, une envie de rien, une lassitude générale. Le lendemain, ça allait bien, ça avait disparu.

Pour Yukiko, ça a pris plus de temps pour disparaître, elle est restée dans cet état-là quelques jours. Elle a été vaseuse, elle en a rêvé la nuit, et elle n’arrêtait pas d’en parler. C’est là où on a pu imaginer ce que pouvait un vrai, gros, PTSD (“Post Traumatic Stress Disorder”, en français “Trouble de stress post-traumatique”). Les vétérans de guerre ou ceux qui ont assisté à une grosse catastrophe humaine, je les plains sincèrement et je souhaite n’en jamais faire l’expérience. Je ne sais pas si ce qui est fait pour eux a de bons résultats, mais ce qui est sûr, c’est que quelque chose est nécessaire. Quand je pense que le PTSD n’existait pas il y a 50 ans (officiellement), qu’on n’en parlait pas de façon médicale et objective, ça me fait froid dans le dos.

Finalement, la police n’a pas pu déterminer à 100% la cause de l’accident, mais a mis ça sur le dos d’un suicide, explication la plus probable selon eux.

Dans le train dans lequel Yukiko était deux heures plus tard, elle était avec un ami (qui habite pas loin de chez nous) qui par coïncidence s’était trouvé à côté d’elle. Commentaire de l’ami à un moment: “Les gens peuvent se suicider s’ils le veulent, mais ils pourraient le faire en silence quand même!”. Pour information, d’après le journal, près de 200000 (deux cent mille) personnes ont subi un impact de ce suicide sur leur trajet (= un retard de leur train).